Illustration Bianca Van Dijk on Pixabay
Elle (Maryse Choisy) est ainsi parvenue à la conclusion que, dans l’utérus se trouve le centre du système érogène de la femme et qu’il agit comme une caisse de résonance du plaisir : Choisy parle d’un orgasme cervico-utérin qui en général est confondu avec l’orgasme vaginal, et qui est plus intense et provoque un plaisir plus fort qui s’étend dans tout l’organisme :
L’orgasme féminin authentique ne se produit ni dans le clitoris ni dans le vagin. Il trouve son origine dans le col de l’utérus. L’orgasme cervico-utérin diffère radicalement de tous les autres plaisirs en intensité, en profondeur, en qualité, en rythme, et surtout en extension. Il est plus diffus. Il finit par embrasser le corps entier. Choisy assure que l’expression « ultravaginaux », utilisées parfois pour décrire les orgasmes profonds et intenses (par exemple pour Maria Bonaparte), se réfère en réalité à l’utérus.
La méconnaissance, dans notre culture, de la sexualité utérine est apparue clairement dans une émission télévisée sur le sexe, quand une femme a téléphoné pour une question ; elle était sportive et en faisant des abdominaux, elle s’excitait sexuellement et avait des orgasmes ; elle voulait savoir si c’était « normal », ce à quoi l’experte de l’émission lui a répondu que bien qu’elle ait beaucoup de chance, cela « n’était pas normal ». Combien de ces demandes et informations devront arriver jusqu’à cette experte en sexologie, avant qu’elle se rende compte de la sexualité utérine ! Cet exemple montre à quel point la sexualité utérine de la femme existe et est ignorée.
Cependant, l’information de cette téléspectatrice est parfaitement normale et cohérente avec l’anatomie du système érogène de la femme : activé par la pression des muscles abdominaux et pelviens sur les utérins, par ce balancement de l’utérus (comme lors d’abdominaux). C’est le même balancement que celui d’une danse du ventre (ou d’autres mouvements habituellement pratiquées par les femmes auparavant). C’est aussi ce qui arrive lorsqu’on serre les cuisses et les fessiers, en exerçant une pression qui atteint l’utérus.
Quand une femme commence à s’exciter sexuellement, l’utérus commence d’abord par vibrer, comme une méduse suspendue dans l’océan. Puis il palpite, comme un cœur ou comme le corps d’une grenouille comme le disaient nos ancêtres. Chaque battement est à l’origine d’une vague de plaisir.
D’une certaine manière, quand on récupère la connexion neuro-musculaire avec l’utérus, sa palpitation se perçoit durant l’orgasme comme une amibe qui se rétracte pour aussitôt se détendre doucement ; une détente ressentie comme un mouvement de l’utérus vers le bas, tel un mouvement amiboïde ; ou celui d’un poisson qui glisse à l’intérieur de la cavité vaginale.
Cependant, la socialisation des petites filles dans l’inhibition systématique des pulsions sexuelles, empêche ces connexions musculaires de s’établir, et ainsi nous devenons adultes sans sentir ou percevoir l’utérus : cette socialisation provoque la rupture de l’unité psychosomatique entre la conscience et l’utérus, que mentionnait Merelo-Barberá.
Ainsi, en général, ou du moins lors des premiers orgasmes de nos vies, nous ne percevons que le plaisir que l’utérus diffuse sans percevoir la palpitation même de l’organe propulseur du plaisir. C’est comme si l’on percevait la chaleur d’un radiateur, mais que le radiateur restait hors de portée de notre perception sensorielle. En revanche, il existe des versets mésopotamiens du troisième millénaire av. J.-C., qui mentionnent Ninsurga, une grande mère qui contracte la matrice et déclenche l’accouchement, révélant ainsi l’existence de cette connexion du néocortex avec l’utérus que nous avons aujourd’hui perdue.
On comprend bien alors le triple commandement de Yahvé : l’homme te dominera, je mettrai de l’inimitié entre le serpent et toi (le serpent représentant dans l’antiquité la sexualité féminine) et tu enfanteras dans la douleur ! Véritable ciment de la civilisation patriarcale.
Après plusieurs millénaires de socialisation dans ce triple commandement, lorsqu’on aborde scientifiquement la sexualité des femmes, on aborde en réalité la sexualité de femmes qui depuis des générations ne vivent plus selon leurs désirs, et qui se socialisent (dans une déconnexion corporelle) avec l’utérus spasmodique. Alors comme d’habitude, on prend ce désastre comme état originel, on définit une sexualité féminine qui va du clitoris au vagin, et on parle d’orgasme clitoridien et d’orgasme vaginal.
Pourtant, dans l’antiquité on connaissait parfaitement la fonction sexuelle et érogène de l’utérus ; un exemple : dans les traités de sexualité tantrique, le yoni est généralement traduit par vagin, bien qu’en sanskrit il signifie littéralement utérus. Ne pouvant pas ou ne voulant pas comprendre ce que l’utérus a à voir avec la sexualité féminine, on invente la traduction de yoni par vagin et on nous présente les deux organes sexuels, le masculin, le lingam (le pénis) et le féminin, le yoni, le vagin. Il n’y a pas de meilleure illustration de la castration patriarcale de la femme que la traduction de yoni par vagin. Comme le dit Choisy, le vagin est le canal qui conduit au véritable organe sexuel de la femme, l’utérus, qui une fois déconnecté de la conscience, disparaît, devient invisible parce qu’il était, et est toujours « politiquement incorrect ».
Le mouvement de l’utérus est évoqué dans les premiers traités sur la médecine des grecs anciens, ce qui a conduit par la suite à parler péjorativement d’un animal qui bouge à l’intérieur de la femme, comme une voracité insatiable, un animal dans un autre animal ; des animaux, qui en un autre temps avaient une connotation érotique (comme le serpent, la méduse, le poulpe, etc.) deviennent désormais symboliquement des monstres, au fur et à mesure que la sexualité féminine devient démoniaque, lascive, et que l’ordre sexuel phallocratique du patriarcat se consolide.
Comme La Pythie de Delphes se transforme en une bête monstrueuse durant notre Renaissance : Figure 10 Apollon tue le serpent Python - Cornélius de Vos - Musée du Prado (d’après le croquis de Rubens). La monstruosité et la lascivité dans l’expression de l’animal, les jambes ouvertes et les mésanges dans l’abdomen sont frappantes. À partir de cette image, il a été dit qu’il représente l’origine de notre civilisation.
Le mouvement de l’utérus est aussi implicitement reconnu dans le concept d’« hystérie » (qui vient de hustéra : matrice, utérus en grec), qui qualifiait la maladie de frigidité sexuelle, et qui résidait dans le fait que l’utérus se trouvait immobilisé et contracté dans la partie supérieure de la cavité pelvienne : de là, le nom d’« hystérie » fut donné à la frigidité.
D’après Dorion Sagan, les grecs appliquaient aux femmes, dans ce cas, des substances piquantes et à forte odeur pour provoquer des convulsions qui fassent réagir l’utérus contracté. Ainsi, les grecs avait identifié la frigidité sexuelle avec l’utérus contracté. Reich, des siècles plus tard, associe anorgonosis (mort biologique) et utérus contracté.
Comme le font également Masters et Johnson, par le chemin inverse, en affirmant que des contractions rythmiques des fibres musculaires utérines se produisent pendant l’orgasme féminin quelques soit l’origine de celui-ci. Ambroise Paré nous dit concrètement que le désir et le plaisir débutent quand l’utérus commence à vibrer (il utilise les verbes français titiller et frétiller).
Il dit textuellement que les jeux amoureux préliminaires à la copulation sont nécessaires jusqu’à ce que la femme soit submergée par le désir du mâle, ce qui se produit au moment où sa matrice vibre. (Tant qu’elle soit éprise des désirs du mâle qui est lorsque sa matrice lui frétille).
La vibration de l’utérus est toujours le début d’une excitation sexuelle. C’est comme une palpitation très ténue et très régulière, mais soutenue, qui prend l’aspect d’un tremblement à la place d’un mouvement de houle mais dont les battements et rythmes sont plus prononcés. Le processus de l’orgasme commence toujours par une vibration qui se transforme en houle ; comme la surface de la mer, qui même quand elle est au plus calme, vibre, et quand la brise commence à souffler, la vibration se met à faire de petites vagues, et avec un vent fort, les vagues deviennent plus grandes.
Et comme la mer, un utérus libre et relâché vibre à la moindre occasion, comme la méduse suspendue dans la mer ; quand l’utérus est gravide, il se laisse emporter subtilement par la force de gravité ; quand il menstrue et vibre il ouvre légèrement le col de l’utérus. Une femme racontait que durant le début de sa quatrième grossesse, elle sentait la pesanteur de l’utérus rempli comme un foyer de plaisir, et comme si elle était dans un état pré-orgasmique permanent.
Quand l’utérus vibre, il irradie de plaisir comme une ampoule irradie de lumière et tout le corps de la femme est peu à peu envahi par l’irradiation, vers le bas vers les cuisses, et vers le haut, vers le ventre, le torse, la poitrine. De même que l’aimant aimante une barre de fer, l’irradiation du plaisir depuis l’utérus, embrase tout le corps, et d’une certaine manière, le transforme.
Comme nous le dit Reich, il y a une grande différence entre être en gestation dans un utérus détendu, dans un corps relaxé par le plaisir, et être en gestation dans un utérus contracté, dans un corps blindé. L’accouchement et l’allaitement, mais également la grossesse sont des activités sexuelles. Masters et Johnson rapportent également qu’ielles avaient enregistré, au cours d’une étude réalisée sur 100 cas de femmes enceintes, une intensification de l’érogénéité des zones génitales (les seins deviennent très sensibles et constituent une source de plaisir).
Et ils ajoutent que certaines femmes, qui auparavant n’avaient réussi à avoir aucun orgasme, en avaient eu facilement durant cette période. L’état normal d’une femme est d’avoir l’utérus détendu et relâché, qui vibre, frétille, bouge rythmiquement, et non avec des spasmes ou des contractions violentes.
Maryse Choisy, dans les conclusions de son étude, parle d’un orgasme qu’elle qualifie de « non-paroxystique », c’est-à-dire, sans point culminant. C’est une vibration de l’utérus si intense qu’elle libère toute la charge libidinale sans nécessité d’un point culminant.
La différence entre la vibration d’un état pré-orgasmique et la vibration d’un orgasme non-paroxystique tient au fait que dans le premier, la femme veut que la vibration progresse vers le mouvement de houle, pour se sentir satisfaite ; tandis que le second est pleinement satisfaisant en soi ; la femme n’en désire pas plus, parce que de fait, toute la libido s’est déjà libérée. Dans l’antiquité, on appelait aussi les amazones des méduses, à cause de leur choix sexuel auto-érotique. Vivre avec l’utérus en perpétuelle vibration est une chose que l’on peut assez bien comparer avec le Paradis ou, ce qui revient au même, avec les Jardins néolithiques de l’Eden ou des Hespérides.
Niles Newton, afin de prouver que l’accouchement est un acte sexuel, présente dans son livre Maternal emotions, un tableau comparatif entre les observations des transformations histologiques de l’utérus durant l’accouchement décrites par Read et de l’autre, celles décrites par Kinsey pendant l’excitation sexuelle (lors de relations sexuelles reconnues comme telles).
Il faut aussi se souvenir que nous avons une autre preuve de l’accouchement en tant qu’acte sexuel : l’hormone dite de l’amour, l’ocytocine. L’ocytocine a un rôle ocytocique, confirmé par les récepteurs d’ocytocine existants dans les fibres musculaires utérines. De fait, pour provoquer artificiellement un accouchement on utilise de l’ocytocine synthétique.
Dans un processus physiologique naturel, l’ocytocine est secrétée par la mère et le foetus quand celui-ci arrive à terme (il semble que l’initiative vient du bébé et que la mère répond). Le fait que ce soit l’hormone de l’amour, l’ocytocine, qui mette en marche le système endocrino-musculaire de l’accouchement, est une autre preuve du fait que la physiologie naturelle de l’accouchement implique du plaisir et non de la douleur.
En effet, la médecine n’a rien trouvé d’autre que l’ocytocine synthétique pour déclencher un accouchement. Cependant, l’ocytocine naturelle est secrétée de manière pulsative, rythmiquement, comme la pulsation du plaisir, alors que l’ocytocine artificielle injectée dans les veines arrive en trombe dans l’utérus, ce qui contribue aux contractions « brutales » et d’un seul bloc des faisceaux longitudinaux, qui tirent à chaque spasme les faisceaux circulaires qui restent contractés, sans se relâcher. C’est très lentement qu’ils se détendent au prix de ces très brutales et nombreuses contractions.
Reich disait qu’un utérus relâché met 1 à 5 heures pour s’ouvrir, tandis qu’un utérus spasmodique met une quarantaine d’heures. À l’époque où elles avaient beaucoup d’enfants, après 4 ou 5 accouchements, certaines femmes rapportaient avoir donné naissance sans contractions douloureuses, et sans se rendre compte qu’elles allaient accoucher jusqu’aux réflexes finaux de l’éjection.
Cela peut s’expliquer par l’absence de peur et la confiance acquise lors des accouchements précédents, et par le fait que ceux-ci font perdre à l’utérus sa rigidité et lui permette de se détendre doucement, sans crampes. Cependant, en étant déconnectée de l’utérus, la femme ne se rend pas compte qu’elle va accoucher jusqu’aux réflexes d’éjection.
Source de cet extrait extraordinaire et précieux :
On accouchera avec plaisir, Casilda Rodrigáñez, Matrice Éditions, extrait p.28-35.
https://matricematrice.be/on-accouchera-avec-plaisir/
Livre disponible gratuitement en version PDF
Sophie Lavois
Autrice, consultante, et animatrice.
Experte en émancipation et empowerment.
Accompagnement des femmes.